CONTEXTE : LA SANTE MENTALE EN MAURITANIE ET A MBERA
La maladie mentale est l’une des principales causes de morbidité et d’invalidité dans le monde. Ses effets se manifestent dans tous les groupes d’âge. Selon une étude de l’OMS sur la charge mondiale de la morbidité, le classement des troubles mentaux et ceux liés à l’utilisation de substances toxiques (MSU) s’est aggravé, passant de la 11ème à la 10ème des causes en termes d’années de vie corrigée de l’invalidité (AVCI) en Afrique de l’Ouest entre 1990 et 2015. Le taux normalisé selon l’âge de mortalité due aux maladies mentales et celles liées à l’utilisation de substances toxiques est passée de 0,22% en 1990 à 0,38% en 2015. En ce qui concerne le nombre d’années de vie corrigé de l’invalidité (AVCI), la proportion est passée de 2,7% à 3,9% au cours de la même période. Chez les 15 à 49 ans, le taux de DALY en rapport avec le MSU est passé de 8,25% en 1990 à 9,32% en 2015. En effet, le MSU était la deuxième cause de perte de DALY dans ce groupe d’âge.
Après avoir été exclue des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD), la santé mentale fait désormais partie des Objectifs du Développement Durable (SDG). Des 17 objectifs, il en existe un, le troisième qui vise à assurer une vie saine et à promouvoir le bien-être pour tous à tous les âges, et comporte deux cibles pertinentes pour la santé mentale ainsi qu’il suit:
- D’ici 2030, réduire d’un tiers la mortalité précoce due aux maladies non transmissibles par la prévention et le traitement et promouvoir la santé mentale et le bien-être
- Renforcer la prévention et le traitement de la toxicomanie, y compris l’abus de stupéfiants et la consommation abusive de l’alcool.
En Afrique de l’Ouest, la plupart des pays ont un plan ou une politique de santé mentale, cependant dans la majorité des pays, sa mise en œuvre n’est que partielle ou non effective. À l’exception du Ghana, du Sénégal et de la Sierra Leone, les autres pays ne disposent pas de législations propres sur la santé mentale. Par ailleurs, la mise en œuvre n’est que partielle dans les pays ayant une législation en la matière. Il existe des défis en ce qui concerne les ressources humaines, les infrastructures et la gestion des données en matière de gestion des services de santé mentale.
Santé Mentale en Mauritanie
La situation dans le domaine de la santé mentale et du soutien psychosocial est particulièrement dégradée. Dans un pays avec plus de 4 millions d’habitants où la prévalence des troubles psychiques dans la capitale est de plus d’un tiers, il n’existe qu’une seule structure de psychiatrie opérationnelle : le Centre Neuropsychiatrique (CNP) de Nouakchott. Une personne souffrant potentiellement de troubles mentaux n’importe où dans le pays ne peut donc être référée que vers ce centre. Pourtant, il n’y a actuellement que 5 psychiatres affectés, une capacité d’accueil limitée à 14 lits et une faible disponibilité de médicaments psychotropes.
En ce qui concerne les soins psychologiques, il y a très peu des psychologues travaillant dans le domaine privé et le soutien psychosocial se limite aux interventions des assistants des organisations de la société civile (OSC). Étant donné ces constats sur l’importance des besoins et les faiblesses de prise en charge en santé mentale en Mauritanie, en 2020 la CRF a mise en disposition des agents psychosociaux dans les Centres de Protection et Intégration Sociale des Enfants (CPISE) à Nouakchott et dans le cadre du projet financé par l’OIM d’« Amélioration de l’accès aux premiers secours (santé et psychologique) pour la communauté de migrants de Nouadhibou et Nouakchott » a mise en place deux espaces d’écoute ouverts à la population migrante et à la population hôte à Nouakchott (au sein du centre d’hébergement Socogim de l’AFCF) et à Nouadhibou (au sein du centre d’hébergement de l’OMN). Egalement, la CRF a organisé en janvier 2021 une formation de 5 jours destinée à 10 agent.es de santé de la ville de Nouadhibou sur le guide d’intervention mhGAP, un outil crée par l’OMS et qui expose les interventions recommandées dans les pays à revenu faible ou intermédiaire pour identifier et prendre en charge un certain nombre de psychopathologies prioritaires.
Santé Mentale dans le camp de réfugiés de Mbera
La prévalence des troubles mentaux chez les personnes réfugiées est encore plus élevée que dans la population générale, notamment dans les camps de réfugiés ou déplacés internes où les personnes font face à des nombreuses difficultés (adaptation, violences, accès aux services basiques, nostalgie, deuils, perte de rôles, etc.) ajoutées aux problématiques propres du parcours migratoire. Une étude de l’OMS publié dans la revue scientifique The Lancet a identifié cinq troubles qui frappent plus les personnes vivant dans les zones de conflit : la dépression, l’anxiété, le syndrome de stress post-traumatique, le désordre bipolaire et la schizophrénie. Le HCR souligne que « les problèmes cliniques les plus fréquents et les plus importants parmi les réfugiés sont d’ordre psychologique, depuis la dépression jusqu’aux différentes formes de troubles de l’anxiété, en passant par des réactions de deuil prolongé ou des troubles de stress post-traumatiques. » L’absence de traitements adaptés et la persistance d’un degré élevé de stress aggravent la situation. D’autant que, pour la plupart, la prise en charge médicale de ces troubles mentaux est inaccessible. Chez les réfugiés atteint des maladies chroniques, il a été révélé que la prévalence de la dépression est très élevée. Ainsi 80% des tuberculeux, 52% des malades atteints du SIDA, 38% des cancéreux et 27% des insuffisants rénaux souffrent d’une dépression (MSF, 2016). Les enfants et les femmes font face à des formes spécifiques de vulnérabilité : violence conjugale, violences sexuelles, recrudescence des mariages précoces, harcèlement et isolement, exploitation et prostitution pour survivre. Les enfants, qui constituent près de la moitié des réfugiés et des déplacés, sont déjà en tant que tels des victimes et ils sont très susceptibles de développer des troubles de neuro-développement, des limitations cognitives et psychomotrices et d’autres conséquences psychosociales. Selon le MSF (2016) on rencontre souvent dans le camp de Mbera certains états de stress post traumatique ayant commencé pendant la guerre et qui ont pris des virages dépressifs ou psychotiques. Dans la culture locale, il se trouve qu’il est humiliant voire honteux pour un homme de manifester son stress même après un événement traumatisant, car le stress est considéré comme une faiblesse ou une immaturité. De ce fait, pas mal de gens vivent avec leur stress latent, et c’est après aggravation que ces troubles sont découverts.
Depuis 2012 jusqu’à 2018 l’organisation INTERSOS a assuré la prise en charge psychologique des personnes dans le camp de Mbera. A partir de 2014, le HCR a mené une formation en Santé Mentale et Soutien Psychosocial aux agents psychosociaux et au psychologue d’INTERSOS parmi d’autres partenaires et au personnel de centres de santé. Pendant cette période 345 personnes souffrant des troubles psychopathologiques dont 148 étaient des cas des troubles mentaux graves ont été soutenus. A partir de 2012, le référencement de cas compliqués vers le CNP a été remplacé pour l’intervention d’un psychologue clinicien qui faisait des visites régulières depuis Nouakchott et de 8 médecins formés en 2016 par MSF en soins psychiatriques à travers le guide mhGAP. Le stock de médicaments psychotropes assuré par MSF a permis aux médecins de continuer la prescription de médicaments après son départ en 2018. ALIMA a continué jusqu’à 2020 à intégrer la santé mentale dans ses activités mais d’une manière atténuée et sans un suivi approprié. L’avant dernier médecin formé par le MSF a quitté le camp en juin 2020, par conséquent aujourd’hui il n’y reste qu’un médecin formé en prise en charge psychiatrique des troubles mentaux : le médecin chef du centre de santé de Mbera.
A partir de 2020, l’organisation allemande RET fournit un soutien psychosocial aux personnes en souffrance et aux victimes des violences basées sur le genre identifiées par l’AMPF ou par le personnel de santé. Pourtant, 1 seul psychologue pour une cohorte de 333 patients reconnus avec souffrance mentale est insuffisant. Bref, actuellement il n’y a pas une prise en charge spécialisée en santé mentale disponible pour tous les malades mentaux ou pour les survivantes des VSBG avec des séquelles psychologiques graves et l’appui psychologique dispensé a besoin d’être renforcé. Ce projet vise à reprendre les interventions étant fonctionnelles dans le passé et à implémenter d’autres nouvelles afin de contribuer à la prévention et promotion de la santé mentale des personnes réfugiées du camp de Mbera.
La santé mentale est intégrée comme un élément constitutif de la santé selon l’OMS, au même niveau que la santé physique et sociale. En cohérence avec la Stratégie Nationale de Santé Mentale (2015-2020) et le Plan National de Développement Sanitaire (2017-2020), la CRf propose un renforcement de l’offre en Santé Mentale et Psychosocial dans le camp de Mbera. Ces deux documents plaident pour l’intégration des questions relatives à la santé mentale dans le système de santé, via la mise en place de services de soins, de thérapies adaptées aux groupes vulnérables et d’un programme de décentralisation de la PEC des troubles mentaux et pathologies neurologiques légères jusqu’au niveau des CS. Ces documents mettent en avant la nécessité de former le personnel de santé en psychiatrie et en psychothérapie, de doter les CS d’intrants et de paquets minimums d’activités et d’élaborer un cadre de gestion de la santé mentale, dotés de mécanismes de suivi et de contrôle gérés par l’Etat.
Contribuant aux objectifs de ces stratégies nationales, le projet de la CRf à Mbera vise à garantir la pérennité de la réponse en santé mentale et soutien psychosocial, à limiter les risques de développement des troubles mentaux et à traiter les séquelles psychologiques des violences et des maladies chroniques.
OBJECTIFS DE LA CONSULTANCE
En 2021 la Croix-Rouge française (CRf) et le Croissant Rouge Mauritanien ont démarré un projet financé par le HCR visant à faciliter l’accès, la qualité des soins et des services auprès des réfugiés de Mbera dans le cadre de leur inclusion dans le système national de santé » Le volet santé mentale de ce projet est principal, tant au niveau communautaire à travers les activités psychosociales à développer pour les volontaires comme au niveau des structures de santé à travers la prise en charge psychologique et psychiatrique des patients.
L’une des faiblesses identifiées se situe dans le cadre de la prise en charge des personnes présentant des besoins en santé mentale et soutien psychosocial spécifiques. Les possibilités de prise en charge de ces patients, et donc de référencement spécialisé, sont limitées par le manque de ressources humaines qualifiées locales ; les spécialistes en santé mentale ne sont généralement disponibles que sur Nouakchott, rendant le référencement couteux, complexe, et souvent impossible pour les personnes et familles concernées.
Afin de renforcer les capacités des centres de santé à Mbera et à Bassikounou dans le domaine de la santé mentale, et ainsi favoriser une prise en charge locale de qualité des personnes présentant des besoins spécifiques, une formation adaptée a été décidée basée sur les outils développés par l’OMS.
En effet, reconnaissant l’impératif de fournir des soins aux personnes présentant des troubles mentaux, neurologiques et liés à l’utilisation de substances psychoactives (MNS) et à leurs aidants ainsi que de combler l’écart entre les ressources disponibles et les besoins immenses de soins, le Département de Santé Mentale et Abus de Substances Psychoactives de l’OMS a lancé en 2008 le Programme d’action Combler les lacunes en santé mentale, en anglais Mental Health Gap Action Programme (mhGAP).
L’objectif de cette consultance est donc de proposer aux agents de santé des centres de soins de la région de Nouadhibou une formation mhGAP, sur la base du guide d’intervention développé par l’OMS[1].
Objectifs spécifiques :
Apporter aux participants les notions de base du soin et de la pratique clinique et la compréhension de la Matrice d’orientation
Assurer l’acquisition des connaissances et compétences sur la prise en charge et le traitement des personnes souffrant des troubles suivant :
- Dépression
- Psychoses
- Épilepsie
- Troubles mentaux et du comportement de l’enfant et de l’adolescent
- Démence
- Troubles liés à l’utilisation de substances psychoactives
- Conduites auto-agressives/suicidaires
- Autres plaintes psychologiques envahissantes
Identifier les besoins d’accompagnement des personnes formées pour proposer des pistes pour les programmations futures.
ORGANISATION GENERALE
Afin de mener à bien cette formation, il est proposé une mission se déroulant ainsi
Préparation (2J)
- Adaptation des outils de formation (manuel de formateur disponible en anglais : https://www.who.int/mental_health/mhgap/tohp_training_manual.pdf?ua=1 et powerpoints, également en anglais : https://www.who.int/mental_health/mhgap/tots_slides.pdf?ua=1)
- Élaboration des supports
Formation (5J)
- Animation de l’ensemble des modules
Compte rendu (1J)
- Rédaction d’un rapport complet de la formation, incluant des recommandations pour le suivi et l’accompagnement des personnes formées.
Les participants seront identifiés par l’équipe projet, qui assurera aussi l’organisation logistique de la formation, en prenant en compte les exigences éventuelles du formateur (horaire des pauses par exemple).
[1] https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/274363/9789242549799-fre.pdf?ua=1
Expériences / Formation
PROFIL REQUIS
- Etre formateur (avoir une formation de formateur et de l’expérience professionnelle en tant que formateur)
- Etre psychiatre (avoir une formation en psychiatrie et une expérience professionnelle en tant quel tel)
- Avoir déjà animé une formation au MhGAP
Salaire
Consultance : Contrat de prestation de service – tarif prédéfini par la CRf
How to apply
DOCUMENTS A TRANSMETTRE POUR POSTULER
Afin de pourvoir prendre en compte votre proposition, il faudra transmettre les éléments suivants :
- Un CV détaillé précisant les formations mhGAP réalisées
- Une copie du ou des diplôme(s) en lien avec la consultance
- Une proposition de dates et un planning détaillée (incluant les temps de déplacement), tenant compte du fait que la formation est attendue pour le mois de juillet 2021
- Un budget détaillé, incluant les indemnités de consultances et frais de déplacements jusqu’à Nouakchott (la CRf prend en charge les frais de déplacement de Nouakchott jusqu’à Bassikounou ainsi que les frais d’hébergement à Bassikounou pour la durée de la formation)
L’ensemble de ces éléments sont à transmettre au plus tard le 01/10/2021 à :
- assist-dakar.frc@croix-rouge.fr